 La
mort se retrouve sur mon passage pour la première fois en 1966. Gilles, un
ami d’enfance et copain d’école atteint de fibrose kystique, meurt à l’âge
de treize ans. Ce fut le début d’un long questionnement resté sans réponse
pendant des années.
Au début des années ‘70, j’emprunte à mes grands-parents, Anna et Adélard,
un livre de Félix Leclerc, «Allégro». Enfin, pour la première fois,
j’obtiens une réponse apportant un sens à ce grand voyage. Je comprenais à
la lecture du «Sanctus» que dans l’oeuvre du Créateur rien n’est sans
raison, même la mort. Elle est tout simplement transformation. Cette lecture
m’a profondément marquée. Je voyais enfin quelque chose de grand, de
merveilleux dans la mort. Heureusement, je n’ai jamais rendu ce livre à mes
grands-parents et ce précieux héritage a toujours sa place chez-moi, bien en
vue. Il évoque toujours de doux souvenirs.
À partir de 1975 la mort m’interpelle à maintes reprises et toujours
s’approfondit ma quête. Les livres «La vie après la vie» du Dr
Raymond Moody et «Au nom de tous les miens» de Martin Gray m’incitent
à poursuivre mon questionnement.
Et vers le milieu des années ‘80, le livre écrit par le docteur Jocelyn
Demers intitulé «Victimes du cancer mais... des enfants comme les autres»
se retrouve entre mes mains. J’étais fascinée par les tableaux de Richard
Hétu illustrant ce livre, comme envoûtée par tous ces enfants portant de
grands chapeaux pour camoufler leur petite tête sans cheveux. Mes pensées à
ce moment furent spontanées : «Si un jour je demeure à Montréal, je ferai du
bénévolat à l’hôpital Sainte-Justine avec ces petits enfants atteints de
cancer.» J’étais pourtant convaincue à cette époque que jamais je
n’habiterais Montréal. C’était sans compter sur les surprises que la vie me
réservait…
En 1989, je travaille à Québec (je n’aurais jamais pu imaginer me retrouver
à Québec non plus). Et l’été de cette même année, ma fille Isabelle décédait
à l’âge de treize ans, frappée par une auto. En une fraction de seconde, la
vie basculait. Un autre chemin inattendu se dessinait alors pour moi. Dieu
merci, j’avais déjà amorcé une profonde réflexion sur la mort et sur la vie
après la vie. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis de vivre son départ avec
courage et sérénité. Je ne demandais pas au ciel pourquoi elle, mais
pourquoi tout simplement. Je savais déjà que la vie me destinait à vivre
quelque chose de grand, de merveilleux même si la douleur était vive et
intense. De très belles chansons d’Yves Duteil dont «Ton absence», «À
ma mère» et «Regard impressionniste» m’ont accompagnée. Elles ont
été un baume pour apaiser cette douleur du ”vide de l’absence”.
Fin 1990, je travaille à Montréal. Tiens, tiens... Montréal... Les petits
enfants de Sainte-Justine me reviennent en mémoire... mémoire du coeur...
Les deuils continuent à se présenter sur ma route... André, Nadia, Paul et
plusieurs proches parents. Ma réflexion toujours se poursuivait. Je
ressentais de plus en plus la présence spirituelle de ma fille Isabelle et
celle des Êtres de Lumière. Des rêves magnifiques me confirmaient que ce
monde d’amour et de lumière existait bel et bien.
Puis en 1992, enfin se réalise ma promesse, je suis bénévole à l’hôpital
Sainte-Justine. Bercer, cajoler, chanter, jouer, promener, regarder des
dessins animés, tout ça me comblait. C’était toujours avec le coeur rempli
d’amour, de tendresse et de douceur que j’arrivais le mercredi soir à
l’hôpital et j’en repartais, trois heures plus tard, le coeur débordant
d’encore plus d’amour, de tendresse et de douceur. Amélie, Vincent, Gabriel,
Lilia, Marie-Ève, Simon, Michaël, Isabelle, Louis-Philippe, Sophie et tous
les autres petits anges faisaient désormais partie de ma vie.
Un soir, comme bénévole, je me promène dans le couloir avec une petite fille
lorsqu’une infirmière s’approche et me demande si je veux aller voir un
petit garçon qui, seul dans sa chambre, s’ennuie. Il s’appelait Denis. Il
avait 3 ans. La petite fille et moi sommes entrées dans sa chambre… presque
sur la pointe des pieds... Je me souviens avoir fait preuve d’une infinie
douceur. Je le savais, il ne fallait rien brusquer, il ne fallait pas
insister. Je me suis approchée de son lit et lui ai demandé s’il voulait
venir avec nous. Tout triste, il a répondu non d’un signe de la tête. J’ai
tout doucement posé ma main sur son petit bras et lui ai murmuré : «Si tu
changes d’idée, tu n’auras qu’à le dire à l’infirmière mais tu sais Denis,
ça me ferait plaisir que tu viennes avec nous.» Nous avons quitté sa
chambre, toujours sur la pointe des pieds. Deux minutes plus tard,
l’infirmière revenait pour me dire que Denis voulait venir avec nous. Nous
nous sommes promenés tous les trois dans le couloir une vingtaine de minutes
à peine puisque déjà sonnait l’heure du départ des bénévoles.
Notre deuxième rencontre se passe sous le signe de la joie. Je venais tout
juste d’arriver, je me désinfectais les mains et j’ai vu apparaître Denis
avec une dame, sa maman je crois. Et quand nos regards se sont croisés, il y
avait tellement de lumière, je n’en revenais pas et je crois bien que sa
maman non plus. Elle m’a semblé très surprise. Elle m’a alors demandé si je
pouvais m’occuper de Denis. Et bien sûr, avec grand bonheur, j’ai accepté.
Lors de notre troisième rencontre, il est intubé. Je l’ai promené toute la
soirée et, au moment de le quitter, je l’ai pris dans la chaise roulante
pour le déposer dans son lit. Je lui ai demandé de passer ses bras autour de
mon cou et de serrer fort. Je m’en souviens comme si c’était hier, j’ai pris
consciemment tout mon temps pour le déposer dans son lit. Je voulais le plus
longtemps possible faire durer le plaisir de sentir ses petits bras autour
de mon cou. C’était, sans le savoir, la dernière fois que je voyais Denis.
Nous étions en 1993.
Au tout début de l’année 1995, je fais un merveilleux rêve. Je voyais, sous
forme de dessins animés, des Êtres et des Enfants de Lumière venir chercher
Denis pour l’amener de l’autre côté. C’était féerique. Vers la fin de mon
rêve, je me réveillais dans le couloir de l’hôpital Sainte-Justine en disant
à Louise, secrétaire au service des bénévoles : «C’est un des cinq plus
beaux rêves de ma vie.» Et je me suis réveillée consciente d’avoir entre les
mains un trésor précieux, un cadeau du ciel à partager avec les enfants de
la terre. J’ai fait ce rêve dans la nuit du 5 au 6 janvier 1995, soit au
premier anniversaire du décès de Denis. À ce moment-là, je ne savais pas
qu’il était déjà dans ce paradis. Je l’ai su en 1998 au moment où Leucan
publiait le livre «Les enfants célestes». J’y ai vu la photo de Denis
et la date de son départ pour le grand voyage. Dès notre première rencontre,
Denis a habité mon coeur, mes pensées et c’est pour moi un grand bonheur de
savoir que désormais, il habitera aussi votre coeur...
Ce rêve, je l’ai transposé pour vous l’offrir. Je croyais la rédaction du
livre complétée mais des moments d’inspiration tout aussi magiques
m’invitèrent à reprendre la plume. Le ciel me convia à la découverte de la
forêt enchantée et du cristal magique. Voilà, le livre était pour moi bel et
bien terminé j’en étais convaincue. Mais à peine quelques mois plus tard,
j’entendis un doux murmure… c’était grand-mère… elle avait un secret à me
dévoiler. Le livre est assurément terminé ai-je pensé. Mais l’aventure se
poursuivit de plus belle lorsqu’un beau soir, l’infini m’ouvrit ses portes
et m’invita à replonger ma plume dans l’encrier.
Lors de tous les moments marquants de ma vie en référence à la mort, le ciel
opérait sa magie en déposant dans mon cœur de petites étoiles. Elles m’ont
guidée pour l’écriture de ce livre. Puissiez-vous, à sa lecture, ressentir
ces milliers d’étoiles qui ont tant fait vibrer mon cœur.
Avec tendresse
Micheline
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